Vincent GODARD

Département de Géographie

Université de Paris 8


V.1.42 - Dernière mise à jour : 15/10/2014

Fiche Mémo n°4.2. du cours d'enquête :

Enquête et démarche scientifique

 

Après avoir étudié le statut des variables (mem41enq.htm), on sait que la géographie relève des sciences de l'observation et pas des sciences expérimentales !

On va maintenant faire un petit tour en Épistémologie (République d') pour étudier l'apport des enquêtes à la démarche scientifique du géographe.

 

Qu'est ce qu'une démarche scientifique ?

 

1. La démarche scientifique

Note : ce chapitre doit beaucoup aux cours que Claude GRASLAND dispensait au début des années 2000 à Paris 7. Qu'il soit ici remercié pour sa contribution (involontaire ;-)).

On lira également avec beaucoup d'intérêt le compte rendu d'Olivier Milhaud d'un Café géographique portant sur "L'espace appartient-il aux géographes ?" qui s'est tenu au café Le Flore, le 29 novembre 2000, et retranscrit à l'adresse suivante : http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=452 ou ici

 

Qu'est-ce que l'épistémologie pour nous ?

Que vient faire l'épistémologie dans ce cours d'enquête ?

D'après "Les mots de la géographie"Brunet, Ferras, Thery éd., 2è éd., 1993, p. 176, l'épistémologie serait l'étude scientifique d'une science, à savoir "Étude des principes, hypothèses, règles, pratiques et résultats de la science". La géographie pratiquée ici, peut-elle relevée d'une démarche scientifique ?

 

1.1 Établir la scientificité d'une démarche

Quand est-on au café du commerce ? quand est-on dans une démarche scientifique ?

En clair :

À quel moment émet-on une opinion et à quel moment énonce-t-on une vérité scientifique ?

Quels sont les critères objectifs qui permettent de valider une démarche scientifique ?

Claude GRASLAND en retient 3 : l'objectivité, la reproductibilité, la réfutabilité.

 

1.1.1 L'objectivité

Qu'est-ce qu'une idée ?

Qu'est-ce qu'une notion ?

Qu'est-ce qu'un concept ?

Classez du plus flou au plus précis.

La démarche scientifique impose de préciser son objet d'étude et la terminologie employée.

Qu'est-ce qu'une ville ? (idée, notion, concept ?)

Comment la définir, la conceptualiser ? => INSEE (pour la France)

Les Français, les Américains et les Chinois ont-ils la même définition de la ville ?

À quel moment passe-t-on de la notion au concept ?

Quand il s'agit de mesurer, de quantifier !

=> quand on besoin d'être précis !

Il faut savoir ce que l'on veut mesurer pour le mesurer !

conceptualiser => modéliser (résumer la réalité)

Quel sont les "grands" concepts de la géographie ?

Critère d'objectivité = celui qui met en lumière les procédures

 

1.1.2 La reproductibilité

Qu'entend-on par reproductibilité ?

Une expérience, une démarche, est-elle reproductible ?

Quelles sont les conditions de la reproductibilité ?

Fournir : les données initiales ; la démarche et les résultats à un tiers pour qu'il refasse la manip => démarche scientifique !

Pas de boîte noire ou de secret de cuisine !

Peut-il y avoir démarche scientifique (au regard de la reproductibilité) dans le monde de l'industrie ?

C'est par le contrôle de la démarche que l'on juge de la scientificité.

Selon le critère de reproductibilité, peut-on dire : lors des tempêtes de 1999, 23 p.100 des arbres de la forêt de Conches-Breteuil ont été touchés (couchés ou abattus) ?

Non, si l'on ne précise pas la méthode d'échantillonnage, la taille de l'échantillon, la précision de l'estimation...

voir : GODARD (V.) - 2007 - Réflexion sur le plan d'échantillonnage appliquée à la quantification des paysages - Exemples d'évaluation des dégâts tempétueux observés dans deux forêts françaises (Conches-Breteuil, Eure, et Fontainebleau, Seine-et-Marne). L'Espace Géographique, juillet à septembre, tome 36, n° 3-2007 : 237-250. (Version soumise PDF)

Cependant, même dans cet article, les données ne sont pas fournies, alors, est-ce vraiment du travail scientifique...

 

1.1.3 La réfutabilité

C'est probablement le critère le plus intéressant de la série des 3 !

La réfutabilité, encore appelée par son anglicisme falsifiabilité (falsifiability), est un concept épistémologique important.

On qualifie de réfutable un énoncé scientifique quand il est possible de démontrer qu'il est faux !!!

Soit par :

- une simple observation

ou

- une expérience complexe

=> proposez un exemple d'énoncé réfutable

Cela ne veut pas dire qu'on l'a réfutée ! Mais qu'on peut tester sa validité, donc éventuellement la réfuter !

- Quelle différence y a-t-il entre dire :

23 p.100 des arbres de la forêt de Conches-Breteuil ont été touchés (couchés ou abattus) par la tempête Lothar !

et

c'est Dieu qui est à l'origine de la tempête Lothar !

Laquelle de ces deux propositions ne relève pas de la géographie ?

Donc, une proposition non réfutable (au sens logique => irréfutable) est considérée comme non scientifique.

Exemple :

- Le géocentrisme est un exemple de réfutabilité (dans le domaine de l'histoire des sciences) d'abord apportée par Copernic, puis par des scientifiques du XVIIe siècle comme Kepler ou Galilée.

- Comment s'appelle actuellement la théorie astronomique qu'il faut maintenant réfuter (celle qui a remplacé le géocentrisme) ?

Aucune théorie scientifique n'est jamais définitive

- La théorie de l'évolution est-elle la même aujourd'hui qu'en 1859 ?

Il y a plein d'autres exemples dans le livre de Karl Popper (Le Réalisme et la science, édition Hermann, Paris, 1990, cf. en particulier pp. 8-11), épistémologue des sciences dans les années 30 qui a popularisé ce concept de réfutabilité.

- Enfin, est-il possible d'expérimenter (pour démontrer la "fausseté") en géographie comme en sciences dures ?

Sans doute pas !

- Peut-on plonger une société humaine dans le chaos pour observer ses réactions ?

- Avez-vous des exemples ?

Mais,

- on peut confronter des théories ayant cours en géographie à des situations observées (science de l'observation, déjà abordée en mem41enq.htm) : on parle alors de pseudo expérimentation ;

- faire des prédictions, à partir de l'observé, qui seront validées ou invalidées par d'autres échantillons (ailleurs, à un autre moment...).

- cependant, on risque, en sciences sociales, d'influer sur le comportement de l'objet d'étude qui se sait être objet d'étude

=> contrairement aux bactéries, arbres et autres plaques tectoniques !

 

Pour conclure, la scientificité d'une discipline ou d'une approche théorique réside dans la possibilité que l'on a de l'invalider (la réfuter)

Il faut pour cela que ses concepts soient établis et les protocoles d'étude qui la sous tendent soient reproductibles, donc explicités, qu'on puisse les tester !

La géographie peut-elle relever d'une telle démarche ?

Si oui, où en avez-vous déjà entendu parler ;-) ?

 

2. Du particulier au général ou le contraire ?

Dans l'ensemble des sciences, il est courant de parler de démarches partant de l'observation de terrain pour "fabriquer" des théories (démarche inductive) ou au contraire, de démarches où l'on commence par émettre une hypothèse avant de la tester sur le terrain (démarche hypothético-déductive).

- La géographie échappe-t-elle à ces approches ?

- N'y a-t-il pas un va et vient possible, souhaitable entre les deux ?

 

2.1 Démarche inductive et géographie

Partant d'un échantillon d'observations de terrain, après analyse,

on observe des régularités, des organisations, dont on aimerait savoir si elles sont présentes ailleurs.

Si on généralise ces observations, on produit un modèle ou une loi.

- Exemple : Lorsque l'on met en relation aux Antilles, en Martinique précisément, l'altitude des postes météo et la quantité de précipitations (échantillon empirique d'observations collectées sur le terrain), on constate que plus l'altitude du poste météo est élevée, plus la quantité de précipitations est importante.

On peut proposer à partir de là une hypothèse (voire une loi plus générale, un modèle) qui permet de résumer, d'organiser les observations :

- la quantité de précipitation est fonction de l'altitude [Qp = f(altitude)] ;

mais cette loi peut être réfutée si on a des données qui :

- proviennent d'une côte sous le vent ;

- de postes météo au delà d'une certaine altitude.

On trouvera le protocole détaillé dans la référence ci-dessous :

Voir le TP librement inspiré de : Josyane RONCHAIL et Sandra ROME "Précipitations et altitude à la Martinique. Un exemple d'utilisation des résidus de régression en climatologie. Feuilles de Géographie, III-1995, Feuilles n°12, 11 p.

- Cet exemple relève-t-il d'une démarche scientifique en géographie ?

Passez en revue les 3 critères !

- Peut-on en conclure que la géographie suit systématiquement des lois scientifiques ?

- Que faut-il faire en terme d'objectivité, reproductibilité, réfutabilité pour bâtir une hypothèse sur la scientificité géographique ?

 

2.2 Démarche hypothético-ductive et géographie

Partant d'une hypothèse qui, lorsqu'elle a une portée plus générale, est appelée loi, la démarche déductive va chercher à :

- valider (affirmer)

ou

- invalider (infirmer)

celle-ci en la confrontant à des

- observations en géographie ;

- données expérimentales dans les sciences en général.

- Exemple : Si on reprend l'exemple précédent, on va tester l'hypothèse des précipitations orographiques sur une autre île avec une côte au vent recevant l'alizé, puis éventuellement plusieurs autres, jusqu'à trouver les limites du modèle :

- limites climatiques : est-ce vérifié en dehors de conditions alizéennes ?

- limites d'exposition (au vent, sous le vent), altitudinales....

 

C'est à l'issue de la "période classique" de la géographie, lors de ce que certains (DEBOUDT 2004 et al., p.19) appeleront le déphasage des années 1980-1990, que ces démarches par méthodes inductives ou hypothético-déductives ont commencé d'irriguer la géographie universitaire et scolaire au travers des manuels.

 

En toute logique, le cheminement normal de la démarche scientifique est un va-et-vient du haut vers le bas et du bas vers le haut.

On parlera de démarche hypothético-déductive (du haut vers le bas) ou hypothético-inductive (du bas vers le haut).

Un modèle confronté à la réalité est susceptible d'évoluer ; il est reformulé, puis resoumis au terrain, etc.

fig. 1 - La démarche hypothético-inductive puis hypothético-déductive puis hypothético-inductive...

Sources : Grasland C., 1995, "Modélisation et commentaire de documents", Feuilles de Géographie, Série jaune, Feuilles n°16, IV-1995, p. 4.

 

Une succession d'étapes caractérise cette démarche empirique :

Description >> Modélisation >> Prévision >> Explication

 

2.3 Quelques étapes de la démarche hypothético-inductive en géographie

- Exemple : En reprenant l'exemple de la relation : altitude des postes météo et la quantité de précipitation (échantillon empirique d'observations collectées sur le terrain).

- Description : formalisation et mise au point d'outils de mesure

On passe du langage courant (je suis haut et il pleut) à une phase de quantification (mise au point d'altimètres et de pluviomètres)

- Modélisation : résumé par synthèse des observations initiales en un plus petits nombres de paramètres hiérarchisés

La relation précipitation / altitude est résumée par une droite.

- Pourquoi le modèle n'est pas parfait ? => résidus

- Prévision : prévoir n'est pas expliquer, mais les régularité empiriques du modèle permettent d'extrapoler des résultats

- Quelle est la quantité de précipitation pour une altitude donnée ?

- A quelle altitude rencontre-t-on telle isohyète ?

- Explication : une fois réglée la question du comment (voir Modélisation), reste à expliquer le pourquoi !

A partir du modèle empirique "précipitation / altitude", il faut comprendre les raisons de cette régularité.

- C'est le niveau le plus complexe de la démarche !

- Un grand nombre de régularités empiriques attestées attendent vos explications !

 

2.3 Alors, la géographie est-elle une science ?

- Pour certains, rechercher des lois d'organisation de l'espace géographique,

c'est appauvrir la réalité !

- S'il n'est pas possible d'expérimenter sur les sociétés en géographie (sauf à être "frère n°1"),

- Est-on condamné à la seule description, sans pouvoir modéliser, prévoir et expliquer ?

- Est-il vain de chercher des lois expliquant la répartition et le comportement des sociétés humaines - ou autres - sur Terre ?

- Pour d'autres, l'espace géographique est une création humaine, qui intègre :

- le milieu ;

- l'héritage sociétal !

Si au XIXè siècle on pouvait se comporter en pionnier sur une terre vierge (demandez aux Amérindiens !), c'est plus difficile de nos jours (progrès de l'archéologie !)

- Quelle est, dans la géographie actuelle, la part du déterminisme environnemental (du milieu sur la société) ?

- Était-ce le cas dans les monographies du XIXè siècle ?

=> recherche du singularisme de chaque lieu (quels auteurs ?)

C'est "... le foisonnement des situations uniques..." de Roger BRUNET [cf. p. 79 de BRUNET (R.), DOLLFUS (O.) - 1990 - Mondes nouveaux. Col. Géographie universelle, Hachette. Reclus. [Paris]. Montpellier, 550 p.]

- Enfin, il convient de prendre en considération l'inertie des structures :

- inertie faible => quels exemples physiques ou humains ?

- inertie forte => quels exemples physiques ou humains ?

- Concept

- de dépendance spatiale (des lieux entre eux)

- de résilience

- d'autocorrélation spatiale (mesure la ressemblance) / interaction spatiale (mesure l'échange) / diffusion spatiale

- Donc, si la répartition spatiale des sociétés humaines et de leur empreinte n'est pas le fait du hasard (à démontrer !), il convient d'expliquer :

- comment cette répartition s'opère

=> aménagement des paysages anthropisés en fonction des besoin de l'Homme à partir des "briques" d'origine ;

- éventuellement pourquoi !

Comme les combinaisons du "Légo paysager" ne sont pas infinies, il convient, là encore, de révéler ce qui est "régulier" ou récurent dans les répartitions spatiales :

=> définition des lois de l'espace

 

En conclusion,

 - En quoi l'enquête permet-elle un travail scientifique en géographie ?

S'il convient de répondre à des questions comme :

- où ;

- pourquoi ici et pas ailleurs ;

- pourquoi ici et également ailleurs...

alors l'enquête (son protocole) :

- est un des moyens de connaître (puis comprendre) la répartition spatiale du phénomène étudié ;

- permet de reproduire à l'identique cette collecte d'information pour chercher les régularités et/ou les dissemblances.

 

La répartition, donc l'espacement, renvoie au concept de :

- distance entre objets étudiés ;

- et de manière plus général à l'étude des contraintes de :

- temps ;

- coûts ;

- déplacements....

 

Les enquêtes menées par des géographes vont s'intéresser à toutes ces notions et concepts et donc commencer par tester l'hypothèse suivante :

- la survenue des phénomènes sociaux est tributaire de leur répartition dans l'espace et dans le temps

Si ce n'est pas le cas, la géographie n'a rien à dire et passe la main à une autre science !

Si c'est pas le cas, l'espace propose des solutions intéressant la société et la géographie justifie son existence !

 

 

3. Test de compréhension

Communiquez-moi par courrier électronique les réponses aux questions suivantes

Question n°4.2.1. Si vous avez collecté une centaine de questionnaires et que vous voulez porter un regard sur l'ensemble de la population, votre démarche est plutôt :

a) inductive

b) déductive

c) progressive

Question n°4.2.2. La lecture du compte rendu d'Olivier Milhaud du Café géographique portant sur "L'espace appartient-il aux géographes ?" qui s'est tenu au café Le Flore, le 29 novembre 2000, et retranscrit à l'adresse suivante : http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=452 ou ici vous apprend que le qualificatif de science "Carrefour" de la géographie a plus ou moins été abandonné en France dans les années :

a) 30

b) 70

a) 90

b) 2000

Question n°4.2.3. Qu'est-ce qui caractérise une démarche scientifique en géographie :

a) la réfutabilité

b) la conceptualisation

c) la pseudo expérimentation

Précisez à la rubrique objet :

UE enquête

puis dans le corps du message vos

n° d'étudiant, nom et prénom

puis vos

réponses

vgodard@univ-paris8.fr

 

 

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